ZODIAQUES AUX MURS DE PARIS

Flâner au fil des rues de Paris est un plaisir incomparable. L'art, la culture, l'histoire, les personnages célèbres, tout s'y bouscule. Pas un carrefour, pas une place ni une porte cochère sans une plaque, une sculpture, une mosaïque ou un bas-relief qui interpelle. Parfois, on se surprend à découvrir des représentations insolites, des références mythologiques ou des symboles dont la signification échappe aux promeneurs non avertis. Le zodiaque et ses douze signes sont très présents sur les façades parisiennes, qu'elles soient de style Art nouveau vers la rue Réaumur, traditionnel au Palais du Luxembourg, Empire au Carrousel du Louvre, insolite rue Notre-Dame-de-Nazareth, énigmatique vers la place Blanche...


La rue Réaumur, dans le deuxième arrondissement de Paris, se caractérise par une petite vingtaine d’immeubles qui, au tournant du XIXe et XXe siècle, ont été le fruit de l’abandon des règles haussmanniennes d’urbanisme et d'architecture au profit d’une nouvelle esthétique promue par la Ville de Paris. Poussés par le mouvement Art nouveau, commanditaires et architectes ont alors impulsé autant de liberté que d'originalité dans leurs créations.
   
C’est ainsi qu’au numéro 61, à l’angle de la rue Saint-Denis, est apparu entre 1898 et 1900 un immeuble à usage commercial et d’habitation dont l’élément marquant est son portail.
Celui-ci, aussi monumental que léger par ces courbes de pierre et ses vitraux, est surmonté d’une gigantesque horloge décorée par le sculpteur Jacquier. Exemplaire de la transition de l'époque, l’édifice, œuvre des architectes Jouannin et Singery, conjugue avec bonheur les styles néo-gothique et Art nouveau.
 
© De Sphæris – association Météores
 
Un premier zodiaque de pierre, entouré des quatre saisons en médaillons, structure les
longues fenêtres garnies de vitraux. Un second zodiaque entoure le cadran de l'horloge.
 
 
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Le printemps et l'été : Bélier, Taureau et Gémeaux d'une part, Cancer, Lion et Vierge d'autre part...
 
L'horloge ne se contente pas de donner l'heure... Parmi ses multiples détails décoratifs, on y distingue plusieurs représentations des rythmes temporels qui animent la nature, accessoirement agrémentées de références mythologiques.

C'est le cas des quatre médaillons qui illustrent les saisons, sans qu'il y ait une véritable cohérence de leurs racines. Il y est question de Flore, entourée de fleurs, pour le printemps, de Cérès aux épis de blé pour l'été, de Pomona au milieu des fruits pour l'automne et, pour l'hiver, de Borée parmi les roseaux. Si Flore et Pomona sont des divinités agraires d'origine italienne, Cérès est l'équivalent romain de l'olympienne et grecque Démeter alors que Borée est une personnification du vent du nord dans la mythologie grecque.
 
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On retrouve ces quatre personnages et leurs attributs dans la mosaïque du zodiaque qui est aujourd'hui exposée au musée Arles antiques et qui fut découverte en 1914 à Trinquetaille.
Un premier zodiaque entoure l'horloge, fait de petits carreaux de mosaïque bleu et or où le glyphe de chaque signe figure au centre de petits bouquets de fleurs spécifiques, tulipe pour le Bélier, iris pour le Taureau, etc. Sur un second cercle, extérieur, les mois sont gravés dans la pierre.
Enfin, sous le cadran, deux bas-reliefs élégants et dynamiques montrent les symboles des signes du zodiaque au milieu de feuillages et coupent quatre grandes fenêtres gothiques.

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Le palais du Luxembourg

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Le palais du Luxembourg est un château parisien du VIe arrondissement, né de la volonté de Marie de Médicis. Après en avoir ordonné les plans à l'architecte Salomon de Brosse, elle s’y installa au début du XVIIe siècle, et pour peu de temps, avec son fils, le roi Louis XIII, chacun en occupant une partie. 

On sait l'intérêt que la Régente portait à l'astrologie et aux prédictions, et pourtant, le fameux zodiaque peint de la galerie Est, œuvre du maître d’Anvers Jacob Jordaens, a été acheté par le Sénat français en 1802 et l'Allégorie du Jour et de la Nuit, que l'on peut voir sur le fronton du palais, a été réalisé par le Sculpteur James Pradier en 1841.
 
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Le demi zodiaque du palais du Luxembourg, sur un ciel fleuri d'une part, étoilé d'autre part. De gauche à droite, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion et la Vierge dissimulés, la Balance, le Scorpion et le Sagittaire.

Ce zodiaque sculpté est très inhabituel car chaque signe est ici représenté par deux symboles. L'archer du Sagittaire est doublé d'un chien qui hurle, le Scorpion d'un chien à demi couché, la Balance d'un dôme enrubanné, le Lion (caché) et le Cancer d'un oiseau, les Gémeaux d'une espèce de trépied qu'un serpent tente d'atteindre.

Cette représentation est exactement identique à celle de la banque zodiacale qui encercle l'autel des douze dieux du musée du Louvre, un lourd disque de marbre, dont l'usage reste mystérieux, qui date du 1er siècle après J.-C. Sa face supérieure est décorée des bustes des douze dieux de l'Olympe, que l'on peut identifier par leurs attributs, et le pourtour de l'autel représente l'écliptique, avec les douze signes, doublés de représentations diverses telles que chouette, paon, chiens, etc.

La "Notice de la Sculpture antique du Musée National du Louvre" de Wilhelm Fröhner, publiée à Paris en 1878, nous éclaire sur ce double système de représentation, d’inspiration romaine : "Sur l’épaisseur du contour de la table se trouvent les douze signes du zodiaque, accompagnés de l’emblème de la divinité tutélaire qui préside à chaque mois de l’année" :

  • Du 19 septembre au 18 octobre : la Balance est représentée par un enfant qui la porte sur la nuque ; à côté d’elle, un bonnet conique (Pileus). C’est le mois de Vulcain.
  • Du 19 octobre au 17 novembre : le Scorpion, accompagné de la louve de Mars, à demi couchée. C’est le mois de Mars.
  • Du 18 novembre au 16 décembre : le Sagittaire représenté par un enfant nu décochant une flèche ; à côté de lui, un chien de chasse assis, la tête dressée et retournée en arrière. C’est le mois de Diane.
  • Du 17 décembre au 15 janvier : le Capricorne en monstre marin, accompagné d’une lampe dont le manche est décoré d’une tête d’âne. C’est le mois de Vesta.
  • Du 16 janvier au 14 février : le Verseau en enfant nu portant une hydrie, à côté d’un paon à la tête retournée. C’est le mois de Junon.
  • Du 15 février au 16 mars : les deux Poissons, attachés ensemble au moyen d’une bandelette et accompagnés de deux dauphins aux queues entrelacées. C’est le mois de Neptune.
  • Du 17 mars au 16 avril : le Bélier accompagné d’une chouette, c’est le mois de Minerve.
  • Du 17 avril au 18 mai : le Taureau, tête baissée, genou droit fléchi et queue enroulée, à côté d’une colombe. C’est le mois de Vénus.
  • Du 19 mai au 18 juin : les Gémeaux portant un vase, à côté d’un trépied à pattes de lion, dont le montant du milieu est orné d’une tête de Méduse et autour duquel un serpent s’enroule. C’est le mois d’Apollon.
  • Du 19 juin au 19 juillet : le Cancer, sous la forme d’un crabe, accompagné d’une tortue ailée. C’est le mois de Mercure.
  • Du 20 juillet au 19 août : le Lion, courant vers la gauche, à côté d’un aigle aux ailes déployées. C’est le mois de Jupiter.
  • Du 20 août au 18 septembre : la Vierge, drapée et portant des flambeaux, à côté d’une corbeille mystique, pleine de fruits et de gâteaux, en forme de pyramide, un serpent enroulé autour. C’est le mois de Cérès.
Le lien entre les deux zodiaques reste à établir. L’autel faisait partie de la collection du Cardinal Scipion Borghese au début du XVIIe siècle et a été acheté par Napoléon pour le Louvre en 1807. L’actuel Palais du Luxembourg a été construit au début du XVIIe siècle sous l’impulsion de Marie de Médicis.  
   
Au 15 de la rue Ballu
 
Située entre la Chaussée-d'Antin et le Faubourg-Montmartre. la rue Ballu, du nom de cet architecte français du XIXe siècle à qui l'on doit le beffroi de Saint-Germain l'Auxerrois et la restauration de l’hôtel de ville de Paris, est surtout connue pour y compter parmi ces immeubles ceux de la "Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques". L'un d'eux est décoré de bas-reliefs qui évoquent les signes du zodiaque.

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Ce bas-relief montre Uranie, la muse de l'astronomie, compas à la main, mesurant
une sphère ceinturée par l'écliptique. On y distingue les signes du zodiaque.
 
L'arc de triomphe du Carrousel

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L'arc de triomphe du Carrousel est un monument parisien qui fait partie, légèrement en décalé, du majestueux alignement formé par le Louvre, la pyramide, l'obélisque de la place de la Concorde et l'arc de triomphe de la place de l'étoile. 

Il est l'œuvre des architectes néo-classiques Charles Percier et Pierre-François-Léonard Fontaine, deux des principaux créateurs du style Empire.

Le monument a été édifié entre 1807 et 1809 en hommage à la Grande Armée de Napoléon et à la campagne de 1805, qui se conclut en décembre par la victoire d'Austerlitz et le traité de Presbourg (Bratislava).  
 
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"La paix de Presbourg", de Le Sueur
Au-dessus du personnage central, une partie de la bande zodiacale, le Scorpion, le Sagittaire et le Capricorne 

La façade sud de l'arc de triomphe est plus spécifiquement dédiée à Austerlitz : "Honneur à la grande armée, victorieuse à Austerlitz, en Moravie, le 2 décembre 1805 jour anniversaire du couronnement de Napoléon".
Ce bas-relief, "La paix de Presbourg", est l'œuvre de Jacques-Philippe Le Sueur.
Il montre avec précision, de la pointe du bâton de pouvoir que tient le personnage principal, le début du signe du Sagittaire, c'est-à-dire les premiers jours de décembre. Le zodiaque est ici utilisé à titre de calendrier, montrant la date du traité ainsi que la date du couronnement qui fut célébré un an plus tôt. La figure centrale, une femme puissante couronnée de remparts, montre, dans l'esprit de l'artiste, la civilisation en marche se repérant sur les cycles temporels de la nature, le zodiaque et ses curieux anniversaires.
 
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La synagogue de la rue Notre Dame de Nazareth

C’est à deux pas de la place de la République que se trouve la plus ancienne des grandes synagogues de Paris.
Inaugurée une première fois en 1822, détruite peu de temps après à la suite de vices de construction, la synagogue occupe le bâtiment actuel, au 15 de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, depuis 1852. De rite ashkénaze à l’origine, elle est désormais dédiée au rite séfarade à la suite de l’implantation dans le quartier des Juifs d'Afrique du Nord à partir des années 60.
Sur la façade, au-dessus de la grande porte, la devise "Liberté, égalité, fraternité" est gravée dans la pierre et, juste derrière, en haut du pignon de la salle de prière, une horloge sans aiguilles affiche les glyphes des signes du zodiaque, le Bélier au sommet.
 
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Une horloge astrologique, sans aiguille...
 
À l'angle de la rue Blanche et de la rue de Douai
   
C'est un bien étrange et discret décor que l'on trouve sur les façades de cet immeuble à sept niveaux du 9e arrondissement. Des symboles temporels, astrologiques et planétaires y sont éparpillés en douze groupes délimités par des pilastres cannelés correspondant aux six travées de la rue de Douai, aux cinq travées de la rue Blanche et à celle de l'angle des deux rues. 
 
 
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Tout d'abord, au dessus de chacune des fenêtres du premier étage, on voit les noms des douze mois gravés en latin dans la pierre : Januarius, Fébruarius, Martius, etc. À l'étage du dessus, les signes astrologiques qui leur correspondent s'affichent en bas-reliefs sur des écussons : le Verseau accoudé sur une urne d'où s'échappe un ruisseau, les Poissons, le Bélier... Encore au-dessus, sous le balcon, les signes sont de nouveau représentés, mais cette fois par leur glyphe. À l'étage supérieur, sur des banderoles légères et figées, de curieuses inscriptions s'étalent en grec ancien: ΕΣΤΙΑΣ, ΟΥΡΑΝΟΣ, KOΣMOΣ, etc. Enfin, à l'étage juste avant les combles, on distingue les glyphes de planètes et d'astéroïdes.

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Janvier et Février, en version latine
 
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Le Verseau et les Poissons
 
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Le signe du Cancer, représenté en bas par l'écrevisse, en haut par son glyphe.
 
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La Balance
 
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Le Scorpion
 
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Le Sagittaire
 
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Le signe de la Vierge, représenté par son glyphe.
 
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Tout en haut de l'immeuble, au dessus de chaque fenêtre, des mots écrits en grec ancien. Ici,  KOΣMOΣ .
 
Dans l'ordre des travées, en partant de la rue Blanche pour aller vers la rue de Douai, on retrouve les glyphes de Mercure, de Vénus, de la Terre, représentée par un cercle surmonté d'une croix, de Mars, des astéroïdes Cérès, Pallas, Junon et Vesta, de Jupiter, de Saturne, d'Uranus et de la Lune. Les inscriptions en grec classique correspondent, avec une certaine originalité, à ces corps célestes. Ainsi, ΑΡΗΣ correspond à Arès, le nom grec de Mars, ΔΗΜΗΤΗΜ à Déméter, le nom grec de Cérès. Par contre le nom ΑΡΟΝΙΟΣ apparaît deux fois, en lien avec Mercure et Saturne, ΟΥΡΑΝΟΣ correspond à Uranus, SEAHNI correspond à la Lune, probablement en lien avec Séléné. Jupiter correspond à ΔΙΟΣ et la Terre à KOΣMOΣ, l'univers, le monde clos ordonné.

En dehors de la Lune qui est rejetée en fin de liste, les astres sont classées par ordre de distance au Soleil, les quatre astéroïdes s'intégrant logiquement entre Mars et Jupiter mais selon l'année de leur découverte, de Cérès en 1801 à Vesta en 1807. Aucun de ces symboles n'est en rapport symbolique avec les signes astrologiques qu'ils surplombent.

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Au plus haut de l'immeuble, les planètes et les astéroïdes sont évoqués.
Ici, le glyphe d'Uranus à gauche, la Lune en croissant à droite.