À LA RECHERCHE DU JUMEAU MANQUANT, par Brian CLARK

De forts sentiments de perte et de séparation rehaussent le tempérament nerveux et agile des Gémeaux. Ceux-ci évoquent la première rencontre avec un égal, la conscience d’un autre (être aimé ou rival), et la première expérience consciente d’être séparé tôt dans l’environnement familial. Les histoires de jumeaux dépeignent toute la gamme de sentiments qui concernent la relation entre frères et sœurs, depuis la très forte proximité jusqu’à l’éloignement.
    
   
La version originale de l'article est disponible sur le site de Brian Clark Astro Synthesis
La version complète de l'article a été publiée dans le numéro 200 de "The Moutain Astrologer


Le thème du jumeau vaincu, ou sacrifié, de l'Antiquité à une contrepartie contemporaine. La technologie des ultrasons a révélé que beaucoup de grossesses gémellaires aboutissent à une naissance unique et que l'un des jumeaux est soit absorbé dans le corps de l'autre jumeau, soit expulsé par la mère sans que celle-ci ne s'en aperçoive. Le jumeau manquant des Gémeaux n'est pas seulement à thème psychologique, mais aussi une réalité biologique.

"Je souhaiterais que tu cesses d’apparaître et de disparaître aussi soudainement. Tu donnes vraiment le vertige." Lewis Carroll

Certains clients ayant des planètes en Gémeaux, et dont les thèmes étaient très "Gémeaux", m’ont amené à reconsidérer mes idées concernant cet archétype. Ma compréhension "livresque" du personnage nerveux, non engagé, fumant cigarette sur cigarette, bavard superficiel, au mobile constamment collé sur l’oreille, fut déconstruite en écoutant les clients parler de leurs sentiments de peine et de perte qui souvent étayent les situations de planètes en Gémeaux. Les Gémeaux évoquent la première rencontre avec un égal, la conscience d’un autre (être aimé ou rival), et la première expérience consciente d’être séparé tôt dans l’environnement familial. La souffrance des Gémeaux est née d’une puissante liaison à l’ancien souvenir d’être un tout.

Les Gémeaux, la maison III qui leur correspond ainsi que leur maître Mercure sont une représentation stellaire de l’archétype de la fratrie, et recèle une myriade de chemins qui nous serviront à expérimenter cette relation primale. Leurs représentations sont les jumeaux, généralement Castor et Pollux, bien que d’autres séries de jumeaux aient été également associées à ce signe (1). Les jumeaux sont un couple archétypal dont les mythes transparaissent à travers chaque symbole astrologique relié au signe des Gémeaux.  C’est là que se concentrent nos premières expériences avec la fratrie (2). Les histoires de jumeaux dépeignent toute la gamme de sentiments concernant la relation entre frères et sœurs, depuis la très forte proximité jusqu’à l’éloignement, et mettent donc à jour les thèmes de dualité, de sacrifice, de séparation, de perte et de recherche de l’autre. Regarder l’autre face des étoiles lumineuses des Gémeaux pourrait révéler un côté plus poignant de l’archétype.

 Les deux étoiles brillantes des Gémeaux

"Vous, muse,
Avec vos yeux brillants,
Parlez nous des filles de Zeus,
Tyndaride
Ces magnifiques enfants de Léda :
Castor
Qui domptait les chevaux
Et Pollux
Homme sans défauts"(3)
(Hymne homérique aux Dioscures)

Hélène était debout sur les murs de Troie et regardait les champs de bataille où le frère de son marin, Agamemnon, avait rassemblé la plus belle armée venant de toutes les régions de Grèce. Priam, patriarche de Troie et père de Pâris, qui avait amené Hélène jusqu’au rivage étranger de Troie, se tenait à ses côtés. Il demanda à Hélène de décrire le vaillant guerrier qu’elle voyait sur la plaine en contrebas ; Hélène, la « lumineuse » parmi les femmes (4), était mariée à Ménélas, roi de Sparte, avant que Pâris ne vienne la réclamer et la ramener à Troie, son butin pour avoir déclaré qu’Aphrodite était la plus belle. Par conséquent, Hélène connaissait les généraux grecs qui campaient dans les plaines de Troie, car elle les avait reçus chez elle. Mais, alors qu’elle regardait attentivement le champ de bataille et faisait l’inventaire des généraux pour Priam, elle ne vit pas ses propres frères jumeaux, Castor et Polydeuce (5).

C’était inhabituel que ses frères ne soient pas parmi les soldats grecs. Ils avaient sauvé Hélène quand elle était beaucoup plus jeune et avait été enlevée par Thésée. Les frères jumeaux d’Hélène appartenaient aussi à la légion héroïque qui avait accompagné Jason dans sa quête de la Toison d’or (6) et également participé à la chasse au sanglier de Calydon. Ils étaient connus pour leurs talents de guerriers ; Hélène était surprise de ne pas voir ses frères jumeaux rejoindre l’armée qui s’était rassemblée sous les murs de Troie, cette armée qui était venue la sauver de son ravisseur Pâris. Hélène avait été absente de Sparte pendant les dix longues années que la guerre avait duré. Elle ne savait pas que la tragédie avait frappé ses frères jumeaux et que le Destin avait réglé leur sort, juste comme il était maintenant en train de régler le sien.

Castor et Polydeuce, plus communément connu par son nom latin Pollux, étaient adorés à la fois par les dieux et par les mortels. Ils étaient connus en tant que Dioscures, les fils de Zeus, en référence à une ancienne version du mythe selon lequel les deux étaient les fils divins et héroïques du dieu du ciel Zeus, comme le présente l’hymne homérique aux Dioscures. Cependant, dans des versions récentes et plus classiques, les jumeaux Castor et Pollux étaient connus pour être originaires d’une atmosphère familiale plus complexe. Cette version du mythe, bien qu’elle ne soit pas la plus vieille, est devenue la plus populaire.

Léda et le cygne d'après Boucher (1741)
Stair Sainty Matthiesen Museum, New York
Leurs parents étaient Léda et Tyndare, la reine te le roi de Sparte. Zeus admirait Léda et pour la séduire il se transforma en cygne. Hermès le poursuivit alors en prenant l’apparence d’un aigle. Hermès le fourbe, de connivence avec Zeus, poussa le cygne dans l’étreinte sécurisante de la reine et la dévasta. Léda, fécondée à la fois par Zeus et son mari Tyndare, donna alors naissance à deux œufs géants. D’un œuf émergèrent Hélène et Pollux, la divine progéniture de Zeus, et de l’autre Castor et Clytemnestre, les descendants humains de Tyndare. Ici, la duplicité de la gémellité prend diverses formes. Un ensemble de jumeaux est divin, l’autre est mortel. Un ensemble est mâle, l’autre femelle. Un ensemble de jumeaux et mâle-femelle/divin-mortel, comme l’autre ensemble. Cette généalogie double fait parti intégrante du mythe qui inspire la constellation des Gémeaux formée autour des étoiles de Castor et Pollux. En ce qui concerne l’apparence, Castor et Pollux sont égaux mais leur est différent. Leur destinée n’est pas la même. Ils doivent apprendre à se séparer. Cette constellation complexe d’un « autre » à la naissance et l’ultime perte de cette relation devient la fatalité qui sous-tend l’expérience Gémeaux. (7) Les deux ensembles de jumeaux véhiculent aussi la complexité de la forte proximité qui existe au sein de la fratrie au cours de leur relation d’adultes. Hélène et Clytemnestre épousent des frères, Ménélas et Agamemnon. Castor et Pollux épousant aussi des sœurs : leurs cousines jumelles (on nous rappelle ici que les premiers modèles de nos relations de fratrie sont souvent reproduits avec des partenaires adultes.)

Quand Pâris, sous la direction d’Aphrodite, arriva au pays natal d’Hélène afin de séduire celle-ci et de l’entrainer à Troie, les frères jumeaux l’accueillent avec bienveillance dans leur pays. Peu après l’arrivée de Pâris, les jumeaux vont au mariage d’une autre paire de jumeaux, leurs cousins Idas et Lyncée. Avant même que les noces aient lieu, Castor et Pollux enlèvent les futures épouses des jumeaux, un autre ensemble de jumelles, les emportent et les réclament comme étant les leurs. Des représentations de ces scènes d’enlèvement peintes sur des vases montrent qu’Aphrodite et Zeus étaient présents tous les deux quand les sœurs jumelles furent enlevée de l’enceinte sacrée d’Aphrodite. (8)

La déesse de la passion amoureuse/sexuelle et le dieu de l’ordre sont conscients tous deux de ce qui se passe et ont même peut-être béni l’union. Le lien entre jumeaux, qui est aussi une métaphore pour la fratrie et autres relations du même type, est également légèrement teinté d’érotisme et de rivalité. Les futures épouses des jumeaux un couple de cousine jumelles, étaient les filles du demi-frère de Tyndare. Les thèmes de querelle familiale et de rapprochement sont courants dans l’histoire des Gémeaux. Les sœurs étaient peut-être des divinités lunaires, car chacune portait un nom évoquant une phase de la Lune : Phœbé, « la pure », et Hilara, « la sereine » (9). Cependant, les héros jumeaux solaires ne trouvent pas leur contrepartie féminine solaire séparément. Un autre ensemble de jumeaux, les olympiens Apollon et Artémis, s’associent avec les astres luminaires tôt dans l’antiquité. Apollon et Artémis étaient attachés l’un à l’autre. En astrologie, nous sous estimons souvent l’histoire de gémellité qui étaye le Soleil et la Lune.

Le mythe des Gémeaux repose sur une atmosphère complexe de dualité et de gémellité. Castor et Pollux fusionnent, rendant la séparation difficile. Ils épousent des jumelles qu’ils ont ravies à leurs cousins, eux aussi jumeaux. Leurs histoires sont tellement entrelacées que la séparation est obstruée. Chaque jumeau s’engage dans un modèle relationnel similaire, que celui-ci soit intime ou rival. Comme ils sont reliés et en symbiose constante, ils ne voient personne d’autre, seulement le reflet de l’autre.

Ironie du sort, pendant que Castor et Pollux enlèvent les promises à leurs cousins, leur propre sœur leur est volée. Le mythe démontre aussi que la conséquence de cet attachement entre jumeaux est l’arrivée d’une « étranger » ou dune figure ombrageuse, personnifiée par Pâris. La famille est pour toujours modifiée quand un membre de la fratrie prend un partenaire car, à partir de là, les constellations familiales sont rejointes par une autre lignée ancestrale. Chaque membre de la fratrie est alors confronté à la perte de sa relation et affecté par le fait que le frère ou la sœur quitte la maison et entre dans le monde des relations adultes. La famille telle qu’elle était ne sera plus jamais la même. Une façon de « s'arranger » avec ces sentiments qui émergent de l’ombre est de les projeter sur la fratrie et la famille du partenaire : les problèmes non résolus que se pose le frère ou la sœur peuvent être transférés sur la fratrie du partenaire. De plus, les sentiments trop difficiles ou impossibles à exprimés peuvent être dirigés vers le partenaire du frère ou de la sœur.

Une autre version dit que les deux ensembles de jumeaux (Castor-Pollux et Idas-Lyncée, entrent en conflit à propos du partage d’un troupeau de bétail. Tous les quatre ont avec succès fait une rafle sur un territoire voisin et son repartis avec une grande part de bétail. Le conflit est né du thème de la possession (la sphère du Taureau), qui laisse présager de l’expérience Gémeaux de la perte et de la séparation. Les deux ensembles de jumeaux se battent l’un contre l’autre. Au cours du conflit, une lance tue Castor, le jumeau mortel. La vérité de leur destinée est maintenant révélée. Castor doit mourir comme un mortel alors que Pollux, qui a reçu le don d’immortalité de son père divin est éternel. Pollux ne peut plus entrer ni sortir de l’espace de son autre moitié mais il est maintenant conscient de sa perte.
Pollux est seul maintenant. Vois son frère tué dans la bataille évoque la profonde souffrance de leur irrévocable séparation. Castor est la face de Pollux qui complète son impression d’être un tout ; avec la aperte de son frère, il y a n vide et l’obsédant sentiment que quelque chose manque. Sa peine est intense, si intense qu’il ne peut plus continuer à vivre sans lui. À cause de ce désespoir, il demande à Zeus de lui permettre de le dessaisir de son immortalité pour rejoindre son frère dans la mort. Dans un mouvement de générosité rare chez Zeus, ce dernier accorda son souhait à Pollux, son fils divin (10). Leur disparité d’origine (divin contre mortel) est équilibrée grâce à leur immortalité partagée.

Alors que nous tendons à qualifier l’attitude Gémeaux de dispersée, nerveuse, non engagée, ce qui est à la base, inconsciemment, de ce comportement est une recherche frénétique de l’autre dont on a été séparé. Les situations en Gémeaux contiennent dans leur essence même une image d’un jumeau à la naissance dont on a été séparé. Ce qui manque est souvent inconscient mais, néanmoins, conduit les individus à partir en quête de celui qu’ils ont perdu et de se questionner à ce sujet. Dans ce mythe, c’est le puissant rapport au jumeau qui permet à l’autre de traverser le seuil du monde souterrain, le territoire psychologique où nous rencontrons « l’ombre ». Castor, le mortel, devient psychopompe menant son frère au seuil de la mort. En Gémeaux, la séparation réveille la conscience, et la conscience d’être séparés est douloureuse. Dans l’horoscope, il se peut que les Gémeaux transportent les premières images de séparations, et la recherche de ce qui manque est souvent projetée sur l’autre « jumeau », représenté par un frère ou une sœur, un ami, un partenaire. Les Gémeaux sont la première expérience de la conscience dans la roue du zodiaque, une consigne de séparation et de la perte de la relation.

 L'une des affiches du film "ZOO"
Peter Greenaway, 1985
Les Gémeaux sont l’une des premières expériences dans le zodiaque. C’est le premier des trois signes d’Air et le premier signe mutable double. Dans le zodiaque, c’est la première représentation de l’expérience ce de séparation et des contraires. En suivant les métaphores offertes par le zodiaque, cette expérience de séparation existe aussi avant l’expérience d’attachement symbolisée par le Cancer.

En observant le zodiaque comme une métaphore pour le développement psychique, l’expérience des Gémeaux se produit à un stade précoce, avant que la capacité à comprendre, réfléchir ou analyser se soit développée, et existe avant que l’expérience de l’attachement se soit intériorisée. En tant que  symbole du processus de développement, les Gémeaux sont trop jeunes pour contenir consciemment l’impact d’une grande perte comme celle qu’a expérimentée Pollux. Les sentiments qui sont constellés avec cette perte sont consciemment oubliés, emportés par le courant du Léthé, la rivière souterraine de l’oubli. Les puissants sentiments de chagrin, réveillés par la séparation d’avec l’autre, sont ensevelis et inaccessibles à la conscience, devenant ainsi des « ombres » de sentiments. Une impression de vide, quelque chose qui semble manquer, ou perdu, un sentiment d’imperfection. Plus communément, ce sentiment de manque est projeté sur le monde, surtout le monde des semblables, car c’est le monde compatibles avec les Gémeaux. Ce sentiment de rapport avec la moitié manquante trouve alors sa réalisation chez l’ami de cœur (signe de la Balance) ou dans les liens de l’amour fraternel ou sororal (le signe du Verseau). Dans de nombreuses situations en Gémeaux, il y a, à la base, un sentiment de très grande perte ou de séparation, sans explication rationnelle, sans que l’on puisse dire pourquoi ce sentiment existe. Néanmoins, ces sentiments vont s’ancrer dans le système nerveux et se traduire sous forme d’anxiété et de difficultés de concentration. Lorsque la mémoire inconsciente de séparation est réveillée par la proximité d’une partenariat entre adultes ou d’une relation intime, éviter l’engagement est une défense efficace contre la perte.

Le mythe des Dioscures est une histoire obsédante sur la proximité du lien fraternel et un rappel poignant de la complexité qui sous-tend le signe des Gémeaux. Les jumeaux védiques, les Avçins, étaient inséparables aussi mais ils réussirent à être unis éternellement en épousant la même femme. Parce que le jumeau est un image archétypale puissante et lumineuse, ce n’est pas étonnant que ce thème, de plusieurs manières, tisse toute la toile des mythes culturels.

Les jumeaux et la culture de la copie

"Au moins je savais qui j'étais
Quand je me suis levé ce matin
mais je pense que je dois avoir changé
plusieurs fois depuis" 
Lewis Carroll

Les thèmes mythiques des jumeaux existent dans la plupart des cultures. Les mythes des jumeaux présentent de nombreuses variantes, néanmoins, l'image du dualisme est universellement partagée. Les éléments qui s'opposent, tels que que la lumière et l'obscurité, le jour (le Soleil) et la nuit (la Lune), le bien et le mal, sont facilement couplés, et donc, beaucoup de jumeaux mythiques représentent des forces polarisées (11). Que les jumeaux soient destinés à demeurer des pôles opposés ou à se réunir, c'est un modèle qui se retrouve dans leurs histoires. La dualité est souvent représentées dans les mythes par des jumeaux rivaux soutenant des forces antithétiques ou par l'union de jumeaux symétriques, comme les Dioscures ou les Avçins.

À partir de son étude comparative des mythes des jumeaux, le modèle de Lévi-Strauss suggère qu'il y a des dissemblances frappantes entre les idéologies des jumeaux dans deux cultures (européennes et nord-américaines). Les mythes européens soulignent la similitude des jumeaux, qui conduit à l'annihilation des différences (l'idéologie de l'identité) ; les mythes nord-américains accentuent les dissemblances des jumeaux, lesquels doivent coexister avec leurs différences (l'idéologie de l'opposition) 12. Une autre façon d'observer cette scission est de comparer les cultures tribales, dont les mythes concernent l'assassinat de l'un des deux jumeaux, et les cultures lettrées dont les mythes parle de l'union des jumeaux. Alors que des motifs courants de jumeaux existent dans toutes les cultures, la dissemblance idéologique semble reposer sur le fait de savoir si l'autre jumeau est absorbé et intégré, symbolisant ainsi une nature holistique/androgyne, ou, s'il est banni et tué, symbolisant alors une polarité et une opposition éternelles. Psychologiquement, la tâche des gémeaux oscille entre l'incitation instinctive d'anéantir son opposé et l'incitation sociale de l'assimiler. De toutes façons, le destin des Gémeaux et de rencontrer son jumeau.
Les jumeaux, qu'il soit des doubles ou des copies, représentent naturellement la conscience de "l'autre". Que les jumeaux soient des personnages fourbes, des psychopompes, des héros culturels, des fondateurs de cité, des guerriers ou des dieux, ils activent la conscience, présageant ainsi le développement conscient.

La naissance et la civilisation constelle l'image des jumeaux. Leurs mythologies, en termes contemporains, symbolisent la conscience de "l'ombre", une personnification d'un alter ego ou un miroir qui reflète ce qui manque. Le jumeau peut être un rival, un double noir ou un antihéros qui doit être dépassé, un membre de la fratrie ou un partenaire, qui est essentiellement une contrepartie ou jumeaux d'âme. La conscience émergente de l'autre et les tentatives de coexister avec l'autre ou de l'effacer demandent souvent un sacrifice afin de mûrir. Les thèmes de l'éveil conscient et du sacrifice sont tissés à travers des mythes qui nous informent du puissant destin inhérent aux Gémeaux. Il me semble que le sacrifice des gémeaux se produit quand le langage et le mouvement commencent à se développer. Avec ce processus du développement, la conscience et la séparation s'éveillent. Le jumeau est abandonné.

Bruce Lincoln a postulé que, dans le mythe cosmogonique proto-indo-européen, le monde résulte "d'un acte primordial de sacrifice, dans lequel le premier prêtre, dont le nom était Manu ("Man"), sacrifia son frère jumeau, le premier roi, dont le nom était Yama ("jumeau") 13. La plupart des cosmogonies occidentales prennent naissance dans cette matrice. Le mythe védique est conforme à ce prototype. Manu (14) était le premier homme à offrir une oblation aux dieux. Manu sacrifia son jumeau, Yama, qui devint le responsable du monde souterrain, escortant les morts jusqu'au royaume de leurs ancêtres. En d'autres mots, "Man" sacrifia son "jumeau" (15). Ce motif primordial de création  est semblable au mythe de certaines tribus de d'Afrique occidentale où un jumeau quitte prématurément l'œuf cosmique et d'autre jumeau est sacrifié pour assurer un monde meilleur (16). Le motif du jumeau sacrifié ou assimilé se reproduit également à travers le mythe occidental.

Le motif du jumeau sacrifié afin de fonder une cité (17) est une variation de ce thème (le fondement d'une ville est un mouvement vers la civilisation et le développement conscient). Le mythe des jumeaux romains, Romulus et Remus, est conforme aux thèmes mythiques car Romulus tue son frère et donne son nom à la ville éternelle. L'empire éponyme est fondé sur le sacrifice du sang de Remus, qui est tué par son frère jumeau au cours du processus de fondement et de construction de la ville. Ce motif archaïque du jumeau sacrifié précédant la naissance de la civilisation s'est répandu ultérieurement dans un mythe culturel (18). Le mythe grec dépeint aussi des jumeaux en fondateurs de cité, cependant, contrairement aux mythes romains, ce jumeau grec n'est pas sacrifié aussi ouvertement.

Les jumeaux grecs, Amphion et Zéthos, sont aussi des fondateurs de cité, cependant, plutôt que de sacrifier ou d'assassiner leur jumeau, il coopère pour ériger les murs de Thèbes. De nombreux autres motifs de jumeaux sont tissés d'un bout à l'autre de leur histoire : la mère impure ou exilée forcée d'exposer ses jumeaux bébés, les jumeaux adoptés par un berger, les éventuels sauvetages et libérations de la mère par les jumeaux, l'origine divine des jumeaux aussi bien que leur importantes dissemblances de caractère (19). Tous ces motifs font aussi partie du mythe de Romulus et Remus. Cependant, contrairement aux jumeaux romains, dans le mythe d'Amphion et Zéthos, le thème du sacrifice, en tant que précurseur de civilisation ou de conscience, est remplacé par le thème de l'assimilation. Le mythe grec ne se conforme pas toujours au prototype indo-européen, cependant ce sont les jumeaux qui annoncent la naissance de Thèbes, destinée à être une grande cité et une grande dynastie.

Les fondements de la ville par les jumeaux conduit à une ère plus développée pour les Thébains. Les jumeaux de Thèbes construisaient ensemble les murs de la cité en utilisant leur talent si différents : Amphion est un musicien doué dont le jeu de lyre contraint la nature à coopérer à la création des murs de la ville, Zéthos a une force énorme et il est capable de soulever manuellement les lourdes pierre pour les mettre en place. Chaque jumeau coopère, centré sur la tâche et uni par un but commun. La variante grecque du thème fait fusionner, plutôt que sacrifier, les natures opposées des jumeaux. L'un aspire au côté poétique, musical et culturel alors que l'autre compte sur la force et le détermination de la nature. Ici l'image des jumeaux annonce une naissance, cependant que, plutôt que le sacrifice d'un jumeau, se produit une assimilation des jumeaux. Les possibilités de traiter la polarité des gémeaux oscillent entre l'anéantissement et l'assimilation.

Le thème du jumeau vaincu, ou sacrifié, de l'Antiquité à une contrepartie contemporaine. La technologie des ultrasons a révélé que beaucoup de grossesses gémellaires aboutissent à une naissance unique et que l'un des jumeaux est soit absorbé dans le corps de l'autre jumeau, soit expulsé par la mère sans que celle-ci ne s'en aperçoive. Les dernières statistiques montrent que l'existence d'un jumeau toutes les six conceptions alors qu'il n'y a qu'un jumeau sur soixante naissances.

Ce phénomène est couramment appelé le syndrome du jumeau disparu (20). Le jumeau sacrifié annonçant la naissance n'est pas seulement un motif mythique mais aussi une réalité biologique :
"Nous sommes conçus en tant que jumeaux et la plupart d'entre nous nait unique. Depuis le début, nous nous pensons comme jumeaux, puis l'un disparaît. Ensemble, le premier combat des jumeaux mettant en œuvre des forces primordiales nous ouvre un espace dans le monde pour dompter les chevaux, pour labourer la terre, pour survivre à la foudre ; et puis l'un dévore l'autre. Les jumeaux disparus laissent derrière lui un corps aussi sec et mince qu'un morceau de papyrus." (21)

Le jumeau manquant des Gémeaux n'est pas seulement à thème psychologique, mais aussi une réalité biologique.

Le sacrifice est un thème récurrent en cosmogonie. Quand l'image des jumeaux et du sacrifice apparaît dans un mythe, ils annoncent la naissance : le fondement des villes ou des empires, la tâche héroïque d'individuation ou de naissance elle-même. Peut-être que les jumeaux représentent un symbole plus différencié de la prise de conscience, puisque le jumeau est un parfait représentant de la dualité, de l'égalité et de la réalisation consciente d'un autre soi extérieur : "les jumeaux incarnent un idéal de la perfection ontologique" (22).

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Notes

1-Hugh Lloyd-Jones dans Myths of the Zodiac (Duckworth, London: 1978) suggère que Zéthos and Amphion étaient eux aussi associés aux Gémeaux, p. 44.
2-Pour une étude astrologique complète de l'archétype de la fratrie, voir Brian Clark, The Sibling Constellation, The Astrology and Psychology of Sisters and Brothers, (Penguin, London: 1999), Frères et sœurs, un lien fondamental (Sand, Paris :2000)
3-De The Homeric Hymn to the Dioscuri traduit par Charles Boer, The Homeric Hymns, Spring, Dallas, 1970.
4-The Iliad of Homer, traduit par Richard Lattimore, Université de Chicago, Chicago, 1961. Book 3:171.
5-Ibid. Book 3:236-8.
6-Apollonios de Rhodes, The Voyage of the Argo, traduit par E.V. Rieu, Penguin, London, 1971. Dans le tome 1, l'auteur liste tous les héros de se recherche. Aux lignes 146-149, il liste Castor et Polydeuce.
7-Les Gémeaux peuvent symboliser le frère/la sœur manquant, de façon littérale ou imaginaire. Dans le mythe populaire de la naissance gémellaire des Dioscures, certains des autres enfants de Léda ne sont pas mentionnés. Les Ehées (Catalogue des femmes, 6ème siècle avant J.C.) liste deux autres filles de Léda, Timandra et Philonoé. Euripide, dans Iphigénie à Aulis mentionne également une autre fille Phoibè. Les Gémeaux peuvent représenter les connexions rompues à la famille, en particulier la fratrie, à travers les ancêtres.
8-C. Kerenyi. The Heroes of The Greeks, Thames and Hudson, London, 1959. p.109.
9-Selon Pausanias, Kypria, une épopée pedue, suggère que ces jumeaux étaient peut-être les filles d'Apollon.
10-Pour une émouvante description de cela, voir Pindar, The Odes, traduites par C.M. Bowra, Penguin (London: 1969). Ode à Némée X: 75-9.
11-La tradition mythologique grecque abonde de jumelage et ce couplage apparait dans la mythologie grecque tardive. Par exemple Éros, le pouvoir et la folie de l'amour, est doublé avec Antéros, l'amour unilatéral et vengeur, Prométhée, le penseur visionnaire et futuriste, est doublé avec Epiméthée, celui qui pense après coup, ou encore Deimos et Phobos sont les images jumelles de la terreur de de la frayeur générée par le dieu de la guerre, Arès. Bruce Lincoln dans Death, War and Sacrifice, Université de Chicago (Chicago: 1991) page 40, soutient que Rhadamanthys et Minos étaient peut-être jumeaux et que Achille faisait poétiquement référence à Ménélas et Agamemnon comme jumeaux. Un thème courant dans la mythologie et la littérature présente les jumeaux dans les rôles polaires de "lumière" et "obscurité". Pour l'étude culturelle des mythes des jumeaux en Afrique occidentale, voir Yves Bonnefoy, Mythologies, traduit par Gerald Honigsblum et sous la direction de Wendy Doniger. 2 volumes; Université de Chicago (Chicago: 1991). Volume 2: 33 ff.
12-Wendy Doniger, The Implied Spider: Politics and Theology in Myth. Columbia University Press (New York: 1998). p.151-2
13-Bruce Lincoln, Death, War & Sacrifice, p. 32.
14-Le mythe védique attrbue ce nom à quatorze géniteurs de l'humanité. Voir John Dowson, A Classical Dictionary of Hindu Mythology and Religion, Geography, History and Literature, Routledge et Kegan Paul (London: 1972). 199.
15-Jaan Puhvel, Comparative Mythology, John Hopkins University Press (Baltimore: 1987). 286.
16-Bonnefoy, Mythologies, Volume 2: 33 ff.
17-Ignaz Goldziher, Mythology Among the Hebrews and Its Historical Development, traduit par Russell Martineau. Longmans, Green & Co. (London: 1877), p.113, affirme "que dans les mythes de tous les peuples, le héros solaire est considéré comme fondateur de la vie de la cité, et qu'une fratricide précède souvent la construction d'une ville". L'histoire hébraïque de Caïn meurtrier de son frère suit ce thème. Plus tard, les romains adoptèrent ce motif.
18-Ce thème récurrent dans les mythes romains rend les universitaires perplexes. Voir Jaan Puhvel, Comparative Mythology, p. 286-8.
19-D'autres jumeaux grecs, Pélias et Nélée, sont conformes à ces thèmes. Ils sont exposés sur une montagne après leur naissance et, devenus adultes, ils sauvent leur mère. Ils étaient dissemblables de tempérament et, finalement, Pélias força son jumeau à l'exil.
20-Une étude statistique est rapportée dans “Nature’s Clones” de Jill Neimark,  Psychology Today, Volume 30, No. 4, juillet/août 1997, et par Lawrence Wright, Twins and What They Tell Us About Who We Are. John Wiley and Sons (New York: 1997). Chapter 6.
21-Hillel Schwartz, The Culture of the Copy: Striking Likenesses, Unreasonable Facsimiles. Zone Books (New York: 1996). p.19. Schwartz Mentionne également des statistiques et des exemples du syndrome du "Jumeau disparu".
22- Bonnefoy, Mythologies, Volume 2: 33.