JUPITER LE SEIGNEUR DU VIVANT, par José-Luis SAN MIGUEL DE PABLOS

Io, Europe, Ganymède et Callisto... Ces quatre satellites de Jupiter, les galiléens, forment avec lui un véritable sous-système dans le cadre du système solaire. Il s'agit ici d'approfondir la perception de Jupiter selon l'astronomie et la mythologie en tant que déploiement du monde des archétypes car, bien que toutes les planètes du système solaire extérieur ont des satellites, la cohérence du système de Jupiter est exceptionnelle, aussi bien du point de vue physique que du point de vue symbolique.    
   
    
Article paru dans "l'astrologue" n° 124

La plus grande planète du système solaire est entourée de quatre amantes/amant de Zeus, qui représentent les innombrables liaisons du dieu olympien. Chaque fois, l'attirance amoureuse différenciée qu'éprouve Zeus pour chacun de ses partenaires met en relief un aspect de cette fonction archétypique, qui, unique dans le fond, n'en est pas moins complexe dans ses manifestations.

Jupiter ouvre le système solaire extérieur, qui est constitué par de gigantesques planètes très peu denses. Deux traits majeurs distinguent, en plus, le Jupiter astronomique. D'une part, il s'agit de la seule planète qui émet un rayonnement important ; cette donnée, à laquelle il faut ajouter sa composition à base surtout d'hydrogène et d'hélium, suffit pour qu'on le considère comme un corps quasiment stellaire. D'autre part, compte tenu de la spectaculaire "cour" constituée par les quatre grands satellites dits galiléens (du fait d'avoir été découverts par Galilée), de son mince anneau et des nombreux astéroïdes qu'il retient, Jupiter n'est pas une planète normale mais un sous-système existant dans le cadre du système solaire, même s'il n'en est pas l'unique, comme par exemple le doublet Terre-Lune, que j'appelle système Gaïa.

Toutes les planètes du système solaire extérieur ont beau avoir des satellites, la cohérence du système de Jupiter est exceptionnelle aussi bien du point de vue astronomique que du point de vue symbolique.

Du point de vue astronomique

Les galiléens sont de vraies petites planètes, vu leurs diamètres compris entre 3 000 km (Europe) et 5 280 km (Ganymède). Ci-dessous, le tableau comparatif donne les diamètres de Jupiter et des galiléens, et ceux du Soleil et des corps planétaires du système solaire intérieur.

D'autre part, les orbites des satellites galiléens sont rythmiquement distribuées dans l'espace, à l'instar des planètes du système solaire, qui accomplissent la Loi de Bode, à l'exception de Neptune.


Les satellites-planètes du système de Jupiter se rangent radialement des plus denses aux plus légers. En outre, plus petite est la distance de chaque satellite galiléen à Jupiter, plus grande est sa chaleur interne et son activité géologique. Si bien que le galiléen le plus proche de Jupiter, Io, est aussi le plus chaud et celui qui déploie la plus grande activité géologique, alors que le dernier satellite-planète, Callisto, ne présente pas même de vestiges de celle-ci. Remarquons que Jupiter ne réchauffe pas directement ses satellites en les baignant en un flux énergétique important, tel que le fait le Soleil... D'une façon différente, c'est le champ gravitationnel jupitérien, combiné aux alignements résonants des galiléens, qui induit des "marées" dans les couches géologiques internes des grands satellites, lesquels sont, de ce fait, chauffés "depuis l'intérieur", et non "du dehors" comme la Terre par le Soleil.

 Jupiter commande à Mercure d'aller délivrer Io (détail)
François Verdier (1651- 1730)
Musée Bossuet - Meaux, France
Notre connaissance des grands satellites de Jupiter a augmenté énormément au cours des dernières décennies, grâce aux engins interplanétaires. Voici un résumé de ce qu'on en sait à présent:
  • La taille d'Io coïncide, à peu près, avec celle de la Lune. Il s'agit d'un astre qui déploie une activité volcanique tout à fait ex extraordinaire causée par les puissantes marées telluriques qu'y induisent conjointement Jupiter, Europe et Ganymède. En conséquence, Io rappelle un lieu infernal présentant une surface aux tons rouges-orangés, jaunâtres et bruns, à cause des dépôts éruptifs. II y a, là-bas, des lacs brûlants de souffre en fusion, et d'autres,  froids et vénéneux,  d'anhydride sulfureux. Les gaz volcaniques éjectés par Io créent un anneau ionisé autour de Jupiter. À remarquer, à cet égard, la signification identique d'Io et ion: celui/celle qui marche, voyageur à pied.
  • Le plus petit des satellites de Jupiter, Europe, n'est pas pour autant le moins intéressant. Au contraire, il est devenu la super-star du système jupitérien, en raison de la forte probabilité de la présence d'un océan d'eau sous la couche glacée et crevassée que les sondes spatiales nous montrent. En avril 1997, les savants de la NASA ont manifesté que toutes les conditions favorables sont, en principe, présentes dans la mer sous-glaciaire d'Europe pour que la vie  ait pu y naître... Bien qu'ils aient immédiatement ajouté qu'elle n'a pas pu être décelée jusqu'à maintenant.
  • C'est l'énergie libérée par l'effet gravitationnel décrit pour Io qui fond ici la glace en contact avec le sol. Disons que, dans le cas d'Europe, cette énergie atteint son degré optimal.
  • Le plus gros satellite du système jupitérien, Ganymède, est plus léger qu'Io et qu'Europe. De toute évidence, la dynamique géologique de Ganymède est, elle aussi, plus faible que celle des deux premiers grands satellites de Jupiter. Toutefois, la donnée principale concernant Ganymède est son intense champ magnétique.
  • Callisto, le dernier galiléen, est encore moins dense et un peu plus petit que Ganymède. Il n'est plus affecté par la force des marées, étant donné qu'il est trop éloigné de Jupiter et que sa période orbitale n'est résonante avec aucune autre. En fait, la caractéristique principale de Callisto est justement son manque de dynamique géologique, car elle a tout l'air d'un astre complètement "cristallisé".  
Et mythologiquement parlant...

Le complexe mythique associé au système planétaire de Jupiter est extraordinairement expressif. La plus grande planète du système solaire est entourée de quatre amantes/amant de Zeus, qui représentent les innombrables liaisons du dieu olympien. Faisons un tour panoramique des mythes focalisés sur le système jupitérien, en commençant par le centre intégrateur, Jupiter lui-même.
    
La Théogonie d'Hésiode présente Zeus (devenu Jupiter chez les Latins) comme la tête suprême de la génération olympienne des divinités. Le père de Zeus, le titan Chronos, après avoir châtré et détrôné le dieu primordial du ciel, Ouranos, fécondait sans cesse son épouse Rhéa, et dévorait ses enfants au fur et à mesure qu'ils naissaient... Quand ce fut le tour du petit Zeus, Chronos essaya de faire comme d'habitude, mais Rhéa lui donna une pierre enveloppée de langes que le titan prit pour l'enfant. La vie sauve et parvenu à la majorité, Zeus défia et vainquit son père; puis il l'obligea à vomir ses frères et sœurs, et le bannit au Tartare avec les autres titans. Ce fut ainsi que les déités olympiennes, sous l'hégémonie de Zeus, s'élevèrent au pouvoir suprême.
Ce rapport très abrégé du mythe de Zeus a le défaut de passer sous silence un des traits majeurs du Seigneur de l'Olympe: son tempérament érotique. Une donnée essentielle, cependant, car la moitié (au moins!) des histoires dont Zeus est protagoniste sont des aventures amoureuses ... Il ne fait plus de doute que la conduite de Zeus-Jupiter donne raison à Hésiode, qui décrit Éros comme "le plus beau des Immortels, qui triomphe sur la sagesse et la prudence de tout être, tant divin qu'humain".

Voyons ensuite la légende d'Io, la jeune amante de Zeus qui donne son nom au premier grand satellite de Jupiter. Cette légende est marquée par la souffrance, même si elle n'a pas une issue tragique... Épris d'Io, Zeus lui ordonna en rêve de se rendre à lui, ce qu'elle fit. Lorsque Héra connut l'infidélité de son époux, elle projeta sa colère contre Io, mais Zeus, d'habitude affectueux envers ses amantes, essaya de la protéger en la transformant en jeune vache dans le but de dérouter Héra. Celle-ci lui demanda, cependant, la belle génisse en cadeau, et le dieu du tonnerre, croyant que sa femme ne soupçonnait pas l'innocent animal- la lui donna. Tenant Io à sa merci, Héra lança contre elle un taon qui la meurtrit de brûlantes piqûres. Affolée de douleur, Io entreprit une longue course. Elle contourna, en fuyant le furieux insecte, les côtes de la Méditerranée orientale, et arriva enfin en Égypte où elle recouvra sa forme humaine, accoucha de son fils Épaphos, et fut identifiée à la déesse Isis.
Passons au satellite suivant. .. L'image de la séduction d'Europe par Zeus-Jupiter est largement répandue à travers l'iconographie de l'enlèvement de la jeune femme par le dieu métamorphosé en taureau. La légende mythologique est évidemment bien plus riche: Europe, princesse de Phénicie, aimait se baigner sur les rivages de la Méditerranée. Jupiter la surprit ce faisant, et éprouva immédiatement une grande passion envers elle. C'est alors qu'il utilisa le subterfuge de se présenter à la jeune fille changé en taureau blanc à allure amicale. Europe, enchantée par la douceur de l'animal, monta sur son dos, d'où elle ne put plus descendre. Le taureau-Zeus traversa une large étendue marine et arriva en Crète avec sa passagère, qu'il aima aussitôt...
Europe accoucha de trois enfants: Minos, Sarpédon et Rhadamanthe. Zeus, lui-même, demanda à Astérion (roi de Crète, et souverain, par conséquent, de la première civilisation historique européenne) d'épouser sa jeune amante et d'adopter les enfants, ce à quoi le complaisant roi, qui n'avait pas de descendants, n'opposa pas la moindre objection. Quelques années plus tard, Minos succéda à son père adoptif et fonda la dynastie minoïque, située entre le mythe et l'histoire.

La légende mythologique projetée sur le troisième satellite-planète du système jupitérien suggère que Zeus éprouva une attirance homosexuelle envers le jeune prince troyen Ganymède, qu'il voulut avoir à son service comme échanson. Dans ce but, il envoya un aigle enlever Ganymède et l'emmener à l'Olympe.
Ajoutons que selon la tradition, la figure de l'adolescent Ganymède se projette sur la constellation et le signe du Verseau (le verseur.)

La légende de la nymphe Callisto est très curieuse. Et cela du fait que la mythologie suggère que la plus belle des vierges qui suivaient Artémis à travers forêts et prairies préférait nettement les contacts féminins aux masculins. D'où le besoin de la part de Zeus d'inventer une ruse capable de lui rendre cette nymphe inaccessible. Alors, compte tenu de l'amour que Callisto éprouvait pour Artémis, le roi des Immortels décida de prendre la forme de la déesse, elle-même ...
Callisto enceinte, Héra autant qu'Artémis firent converger leur jalousie sur elle. Ainsi donc, dès qu'elle enfanta son fils Arcas, Zeus la transforma en ourse afin de la protéger de la colère des déesses. Quelques années plus tard, étant à la chasse, Arcas rencontra sa mère, et, ne la reconnaissant évidemment pas, il essaya de la tuer. Le Seigneur de l'Olympe changea alors en constellations tant la mère que le fils pour éviter la consommation de la tragédie. Ils devinrent la Grande Ourse et le Bouvier, son gardien.
  
Coïncidences astronomie-mythologie

Il me semble que même un rationaliste intelligent pourrait rester perplexe devant tant de coïncidences curieuses ... Tout d'abord, devant l'identification antique du plus haut des Immortels avec la plus grande planète du système solaire, qui comporte d'ailleurs des traits semi-stellaires (une donnée astronomique que les Anciens devaient logiquement ignorer). Et ensuite, devant les faits suivants :
  • Tout d'abord, l'existence, à l'instar du Soleil, d'un vrai système planétaire, d'une "cour de planètes", autour de Jupiter, le Seigneur de l'Olympe.
  • Ensuite, le parallélisme frappant entre la légende de Io la tourmentée, couverte d'abcès en conséquence des piqûres du taon envoyé par Héra, et le satellite-planète du même nom, soumis à une énorme tension physique et ne cessant d'expulser de la lave soufreuse par ses multiples points éruptifs.
  • Et puis, le fait que, d'une part, l'enlèvement de la jeune Europe ait eu lieu au bord de la mer, qu'il ait été suivi d'une spectaculaire traversée de la Méditerranée, et qu'il se soit achevé sur une île; et que, d'autre part, le satellite galiléen Europe soit apparemment couvert d'un océan d'eau. Que, de surcroît, on envisage la possibilité que cette mer extra-terrestre recèle des formes de vie, alors que le grand satellite en question est homonyme d'un des continents de la planète Terre.
  • Et encore, le fait que l'aquarien Ganymède soit le seul satellite galiléen qui ait un champ magnétique très fort (un facteur physique en net rapport avec le signe du Verseau).
  • Enfin, la cristallisation de l'obscur globe de Callisto, qui rappelle la fixation définitive (comme constellation, appartenant en plus au cercle polaire boréal) de l'ourse brune en qui la nymphe aurait été transformée.
Le "Système Zeus", reflet de la complexité du vivant

Que penser d'un pareil système planétaire, du point de vue du symbolisme astrologique? Je suis d'avis que le "système Zeus" est le repère essentiel du déploiement de la Vie. Cela parce que le monde du vivant est caractérisé par une complexité croissante auto-créative, en expansion vers des niveaux supérieurs d'intégration. La vie permet, en plus, la manifestation de l'Être comme conscience, focalisée par les "étants". Enfin, la vie, d'essence associative et symbiotique, naît symboliquement de l'interaction des quatre Éléments, dont elle implique la présence et la manifestation ...
Or le système planétaire de Jupiter reflète clairement le développement de la complexité, du moment qu'il ressemble à un véritable système assez bien adapté aux postulats de la théorie générale de systèmes auto-organisés, de von Bertalanffy. La dynamique des systèmes organiques comportant toujours la présence des quatre Éléments traditionnels (compris en profondeur), cette présence se manifeste d'abord à travers la focalisation des Éléments sur les grands satellites. Compte tenu des données qu'on vient d'exposer, je propose la corrélation suivante:


Ainsi, le système de Jupiter est-il une réalité organique cohérente des trois points de vue: structurel, énergétique et "informationnel" ou symbolique. Et parallèlement, la fonction archétypique Zeus reflète le développement de la vie au-delà de l'œuf de l'entité individuelle en herbe, encore fermée sur elle-même... La vie a beau naître dans le système Gaïa, dans l'ovoïde que dessine l'orbite lunaire autour de la Terre, cette même vie se déploie et croît, même en complexité, grâce au système Zeus en tant que repère symbolique de l'expansion du monde du vivant, ainsi que de l'intégration de chaque entité biologique, et psychique, dans des systèmes plus compréhensifs et complexes.

Je voudrais aussi attirer l'attention sur une donnée analogique intéressante: de la même manière que le système Gaïa (ou Terre-Lune) ressemble à un atome d'hydrogène (un seul proton entouré d'un seul électron), le système Zeus rappelle l'atome de carbone, l'élément fondamental en biologie, qui a quatre électrons de valence. Les substances organiques sont, d'ailleurs, très bien représentées par le Bois, le cinquième Élément de la tradition chinoise, que le grand astrologue Dom Néroman mit en correspondance autant avec la matière vivante qu'avec Jupiter dans son superbe ouvrage "La Leçon de Platon" (1).

Les quatre satellites-planètes du système jovien peuvent d'ailleurs rendre compte des facettes basiques de l'archétype focalisé par Jupiter, l'attirance amoureuse différenciée qu'éprouve Zeus pour chacun de ses amantes/amant mettant, chaque fois, en relief un aspect de cette fonction archétypique, qui, unique dans le fond, n'en est pas moins complexe (et même contradictoire !) dans ses manifestations.
  • Voyons premièrement la facette Jupiter-Io, celle de Jupiter Tonnant. Elle souligne l'emprise de Jupiter sur les situations dramatiques, grandes catastrophes comprises. Également le vécu et l'acceptation du tragique, du moment qu'on a l'intuition de son sens profond. Elle est en rapport aussi avec les aventures initiatiques, les narrations épiques, la quête chevaleresque...
  • Deuxièmement, Jupiter-Europe. La facette paternelle d'un Jupiter qui devient le Seigneur de la Fécondité. L'aspect de l'archétype exprimant l'exaltation de Jupiter dans le Cancer. Tendance protectrice jupitérienne. Optimisme ultime vis-à-vis du déploiement de la vie, de la civilisation et de l'humanité.
  • Troisièmement, Jupiter-Ganymède. Facette ludique et exploratrice de Jupiter. Tendance à partager l'amusement et le jeu. Libéralité jupitérienne, qui a trait à l'élan vers la découverte.
  •  Quatrièmement, Jupiter-Callisto. Acceptation philosophique des limites (de la croissance, de la vie, etc.). Acceptation des lois. Cette "liaison" de  Zeus-Jupiter semble un reflet, au sein de son système, de la polarité basique Jupiter-Saturne.
Ces quatre facettes liées aux grands satellites n'épuisent évidemment pas la signification du Jupiter astrologique. II faut aussi compter sur les moments de méditative solitude de Zeus, lorsqu'il s'adonne à philosopher et à juger. Car Jupiter cultive de façon autonome sa vocation à percevoir et soutenir le sens de cette vie dont il gouverne le déploiement et l'expansion. Ainsi, dans sa dimension souveraine de Seigneur de la Finalité, Jupiter exprime sa maîtrise du Sagittaire, alors qu'en tant qu'empathique Seigneur du Vivant, il déploie plutôt sa connexion avec les signes aqueux des Poissons et du Cancer. C'est précisément là qu'il montre le plus clairement son lien étroit avec les satellites faisant partie de ce vrai système quasi stellaire qui parcourt la sixième orbite solaire... Un système constituant une réalité complexe, qui nous permet désormais d'envisager Jupiter, tant astronomiquement qu'astrologiquement, plutôt comme un foyer intégrateur que comme une simple planète.
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1 : Niclaus, Paris, 1943, p. 355.